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poésie contemporaine - Page 2

  • Jean-Marie Berthier, poète du haut coeur

     

    Cette ligne de vie dans l'exil de parler

     

    Il faut entendre Jean-Marie Berthier quand il allonge sa mémoire, quand il accueille en page les chiens perdus de l’amour, les terrains vagues et le « clair de corps ». Sous sa plume, on découvre une étonnante évidence qui n’a que faire des empêchements contemporains, des manques langagiers qui assèchent, du faux imprononçable.

    C’est que pour ce poète du haut cœur, l’enjeu a depuis longtemps avoué sa mise : survivre au malheur des séparations essentielles, témoigner du lien entre les vivants et leurs disparus, tenter en mots de fortune l’amitié du passe-muraille et l’accompagnement des étoiles. Et croire cela surtout au cœur du vertige humain:« On n’a jamais vu l’éclair/ oublier la nuit ».

    Gorgée de scènes, prises au lointain de l’âme, une poésie se déroule alors en chant de troubadour, portée par une voix ardente et chaude, reconnaissable entre toutes. C’est une boussole de langage à tenir, vaille que vaille, qui nous rappelle, au cas où nous l’aurions oublié, que l’amour parle en poésie comme en sa langue première, et encore que le poème, enfant aux bras ballants, reste la seule et si précieuse monnaie du jour pour porter le « fardeau de douleur de ma peau ».

    Aux éditions MLD (www.editions-mld.com), est paru en 2009 le très bel ouvrage « Attente très belle de mon attente » où le lecteur retrouvera la « gravité foudroyée » de l’auteur des Arbres de Passage, son émouvante célébration du temps cathartique de la conscience.

     

    Dominique Sorrente

     

     

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    LE FEU JARDINAIT EN SILENCE

     


    Ce qui fut dit

    fut aimé

     

    Ce qui fut fait

    fut chanté

    dans ce temps

    levé comme une gerbe

     

    Le cœur dessinait ses collines

    et la peau ses labyrinthes

    mais seul un vent mauvais

    pouvait en elle s’égarer

     

    Le feu jardinait en silence

    les ailes des oiseaux déchus

     

    Ce qui fut dit

    fut jeté

    Ce qui fut fait

    fut coupé

     

    Sans aucun jugement

    furent tondues les gerbes

     

    Jean-Marie Berthier

    (extrait de Attente très belle de mon attente)

     

  • Un si ardent désir de mot à mot

     

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    © Photo Daniel Vincent

     

    Le poète vit le plus souvent seul sous l’escalier où il entend parler de lui comme d’un mort. C’est contre cette imagerie que le Scriptorium s’est créé, en lieu d’utopie vivante, avec le désir de réunir quelques poètes, artistes et lecteurs, dans leurs solitudes consenties, et d’aller à plusieurs, en ce début de XXIème siècle, à la rencontre des mots, avec leur énergie insoupçonnée.

     

    Fondé en 1999, le Scriptorium est né en un temps symbolique, passage espéré, déplacement des horizons. L’époque est à la mise en scène de l’intime, à l’ustensilisation du langage, à la compulsive agitation financière ; elle porte aussi la précarité de la survie planétaire, la recherche de nouvelles formes de relations d’échange, l’attente de paroles qui mettent en chemin et tonifient l’ardeur à vivre. Nous pensons que, dans cette époque de bouleversements, la poésie se doit de proposer un désir d’écologie de l’esprit, capable de lier la biodiversité du langage avec un goût approfondi pour le bien commun.

     

    Trois mots désignent cette aventure que nous menons depuis  dix ans :

     

    Marseille, la ville foisonnante, dispersée, souvent rebelle, parfois injuste et toujours créative. C’est dans le petit port de pêche du vallon des Auffes, à la marge de la grande cité que notre projet a vu le jour. Comme une promesse d’embarcation. Minuscule, peut-être signifiante. Nous vivons en sémaphore de poésie dans ce port qui annonce la permanence de la rive et la mobilité renouvelée des départs et des arrivées.

     

    L’esprit de coïncidence : il se diffuse entre nous, poètes, artistes, lecteurs, comme l’art de trouver la juste longueur d’onde entre le monde du dedans et le mystère de l’autre. Il est ce mouvement de l’être qui refusant la seule métaphore mécanique du langage consent aux lâchers prises de ce qu’il ignore, mais avec l’accueil lucide et travaillé de l’inconnaissable. La coïncidence se retrouve tant dans l’exercice individuel du poème, propice à la réception de la part secrète, que dans les dispositifs polyphoniques que nous pratiquons, comme celui des Intervalles, du Pictodrame ou de la poésie chorus.

     

    La poésie à ciel ouvert est notre paysage naturel,  parce que  nous croyons que la poésie parle à chacun et qu’elle doit circuler à travers l’ensemble des formes contemporaines qui vont de  la voix haute à l’intimité des inscriptions sur murs, des cartes-poèmes  aux traces sur la blogosphère… Ciel à plusieurs dimensions qui donne le vertige autant qu’il nous attire. Nous parions sur une intelligence collective à développer avec les mutations technologiques qui nous obligent à repenser notre métier d’auteur. Le « ciel ouvert » désigne cet esprit d’aventure qui ne va pas sans conjuguer le geste d’écrire avec les risques d’intempéries …ou d’insolation.

     

    Les auteurs que nous accueillons dans cette anthologie naissante et qui s'étirera à son rythme imprévisible durant la saison 2009-2010 portent, chacun à sa manière, cette promesse de vie intense qui nous fascine.

     

    Bienvenu au lecteur de passage qui séjournera, même un instant, dans ce lieu-dit  ouvert.

     

    C'est avec lui que nous apprendrons ensemble à déchiffrer ce que nous disent les jours et les nuits.

     

     Notre métier sur ces pages en genèse : copistes de l'inattendu.

     

     

     

    Dominique Sorrente

     

  • PISTOIA : le temps du jumelage poétique I

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    italyflag.gif             

     a Pagine italiane I e II

     

    S_Giorgio_Blog.jpgFin du mois d'avril dernier. Une escouade de poètes du Scriptorium s'achemine vers la ville de Pistoia où leurs homologues toscans et la municipalité, en l'enceinte de la belle bibliothèque San Giorgio, leur réservent un accueil chaleureux. Trois jours durant, au rythme soutenu des différents temps de rencontre, les quatre poètes français, Dominique Sorrente, André Ughetto, Angèle Paoli et Olivier Bastide ainsi que leurs accompagnateurs Elena Berti, Yves Thomas et Valérie Brantôme, vont amorcer un parcours commun en poésie sous le signe de l'Europe en compagnie des poètes italiens Paolo Fabrizio Iacuzzi, Maura del Serra, Martha Canfield et Alessandro Ceni.

    Au programme, conférence, ateliers de traduction, lectures en extérieur et à l'auditorium Tiziano Terzani de la bibliothèque, découvertes du patrimoine culturel.

     

    Époque 1 :         Tour de table dans la langue des poètes

     

    Mercredi 22, jeudi 23 et vendredi 24 avril - Les Matinales à la « Saletta Bigongiari »  :  dédiée à l'illustre poète italien du même nom, cette salle de la bibliothèque héberge les 5000 ouvrages documentaires du Fonds Bigongiari rassemblés sous l'autorité de P.F. Iacuzzi ; elle sera le théâtre des ateliers de traduction poétique. Fruit de collaborations à la fois bilatérales et collectives, les poèmes objets des traductions * donnent lieu à des débats animés et pointent tout l'enjeu de la justesse de cette pratique de translation d'un idiome vers l'autre : coller au plus près du texte  dans un souci de fidélité, adapter parfois jusqu'à réécrire dans sa langue, se fondre dans la peau du poète étranger pour retranscrire au mieux son style, tels sont les éléments qui ont nourri les échanges des participants assis autour de la table. 

    Quand la donne du jeu et la quête du sens se croisent puis se fécondent, l'aventure peut commencer. **

    Le coeur devenu différent, l'esprit relié **, l'aventure continue...

    Au retour, impressions et poèmes ont fleuri de part et d'autre dans le sillage des rencontres.

     

    Le mura dei poeti.jpg

      

     

    Face à face nos langues

    au commerce de mots,

    regarde au magasin

    LesMatinales_MC_AP.jpgles réserves de sens,

    pèse à leur trébuchet

    le métal de syllabes,

    choisis l’or des vocables

    à leur fine musique.

    Face à face nos corps

    nos amours nos énigmes,

    désir d’identité :

    autrui est-il le même 

    ou suis-je singulier

    derrière mes remparts ?

    Les murailles du moi

    rendraient vaines les flèches

    dirigée vers les cœurs

    que l’on voudrait gagner ?

    Mais l’acte de traduire

    et son vœu de séduire

    rendent heureux le négoce :

    du poème invité

    à franchir les frontières

    un luxe de paroles

    différemment rythmées

    ajoute d’autres moires

    à son éclat premier !

     

     

    André Ughetto

     

     

     

     Avril au damier.jpg

     

     

     

     

     

     

     

    ATELIER 1

     

    Ils ôtent un mot, puis l’autre, en déploient dix, monnaie d’échange,

    forment rayures de tout cela. Ils se partagent à pleines dents

    la phrase livrée  du poème du jour, la placent sur le dos de la table

    pour instruire leurs bricolages minutieux.

     

    L’un s’aventure, l’autre retranche. La formule se cherche, pierre secrète

    à frotter jusqu’au feu.

     

    Ou bien non. Ils ne font  que glisser dans le calque incertain,

    porter l’empreinte à l’athanor.

     

    Dans le peu à peu des propositions, passé les écueils et les manques,

    le poème se dessinera au milieu d’eux

    une manière double.

     

    Une ressemblance équivoque qui, tour à tour, les inquiète, les réjouit.

     

     

     

    ATELIER 2

     

    En marge du désordre promis aux officiants, j’habite désormais

    une vitrine sous laquelle je laisse  les minutes m’envahir.

    Lettre décachetée, je m’expose au temps qui posera ici ses yeux

    en trait d’union.

     

    Le déchiffrement d’un jour

    qui a choisi de se poser  sur cette aile fragile

    me tient lieu de

    plein exercice.

     

    Qui croira que je saurai rester là dans cette enclave de bibliothèque

    sans troubler les passants,

    leur enseigner comment

    attendre l’aube d’un jour de vie depuis longtemps déjà

    révolu ?

     

     

     

    ATELIER 3

     

    Quelque chose s’entreprend qu’on ne sait dire.

    Entre l’intime concision de quelques mots, tressés sur page,

    et l’univers en extension des voix

    qui se prolongent à l’infini.

     

    Plus l’on fixe et plus l’on déploie. Leçon de la matinée.

     

    Le poète présent regarde avec la curiosité d’un encore vivant

    s’en aller son travail  dans un autre berceau de langage.

     

    Rappelle-moi qui je fus

    quand le monde des regards multipliés

    n’existait pas, dit-il, quand  le monde de l’autre

    se terrait encore dans son premier tremblement ?

     

     

                                                        Dominique Sorrente

     __________________________________________________________________________

    NB : * Les poèmes traduits lors des ateliers seront publiés dans son prochain numéro d'automne par la prestigieuse revue italienne de poésie comparée Semicerchio, partenaire des rencontres du jumelage poétique à Pistoia.

    ** Citations extraites de Parole première, texte fondateur du Scriptorium.

    Pages liées :

    • rubrique Agenda
    • poèmes des ateliers de traduction publiés en partie (Angèle Paoli) sur le site Terres de femmes (ici & ici).